Que doit-on, alors que le paquet législatif sur le Swissness est entré en vigueur au 1er janvier 2017, retenir de ce long processus politique? Concrètement, on peut d’abord dire que les objectifs de la révision ont été atteints. La marque «Suisse» est mieux protégée et le fameux «lien particulier» qui doit unir un produit à sa provenance est désormais spécifié, avec toute sa kyrielle de principes de calcul, de règles spéciales et d’exceptions.
Un chocolat suisse à base de cacao du brésil ?

Manger suisse et politique
Derrière ces exemples, on retrouve les nécessaires arbitrages qu’implique la construction d’une provenance. Un tel exercice a supposé de trancher entre de multiples critères potentiellement légitimes dont le dosage revêt des implications majeures sur la répartition de la valeur à l’échelle des filières et, in fine, sur le contenu de nos assiettes. Les règles instaurées ne constituent pas le fruit du hasard ou de considérations purement techniques, mais le résultat de négociations politiques visant à garantir non seulement la protection de la marque « Suisse » mais également, au niveau des ordonnances, la faisabilité pour les industries – tout en restant dans le cadre posé par la loi. Les compromis issus de ces négociations sont soumis aux aléas de ces dernières, au poids des arguments et des idées, à l’intelligence ou à l’irrationalité des protagonistes, à l’influence de contraintes externes, au poids de certains intérêts.
Il n’est dans ce contexte pas inutile de s’arrêter de manière plus approfondie sur la nature de ces critères et de tenter, quoique le recul manque encore pour en juger, d’en esquisser les conséquences aux différents échelons des filières – de la fourche à la fourchette.
Produit Suisse et calculs

Le calcul de la part de matières premières de provenance suisse s’effectue sur la base i/ de la recette de fabrication – et non de la composition effective – du produit fini ; ii/ des flux de marchandises pour une année civile – et non pour chaque emballage ou paquet pris individuellement –; et iii/ en tenant compte du taux d’auto-approvisionnement (TAA) de chacune des matières premières, tel qu’il figure en annexe des ordonnances. Le TAA est entendu comme le rapport entre la production suisse et les besoins des transformateurs en matières premières indigènes et d’importation. Si ce taux est inférieur à 20% (c’est le cas par exemple pour l’orge, les noisettes, l’asperge ou les myrtilles), la matière première n’est pas prise en compte dans le calcul de la part de matières premières indigènes à atteindre ; si le TAA se situe entre 20 et 49,9% (c’est le cas du miel, du fenouil ou des fraises), son volume est pris en compte pour moitié ; et si le taux est supérieur à 50% (blé, pommes de terre, carottes, pommes, etc.), elle est entièrement prise en compte. Cela signifie, en clair, que la part de 80% des matières premières suisse ne se calcule pas sur la totalité du volume du produit fini, mais en se limitant aux ingrédients dont le taux d’auto-approvisionnement est supérieur aux seuils indiqués ci-dessus.
Règles spéciales
Des règles spéciales sont fixées pour certaines matières premières, pour certains produits, ou pour certaines zones de production hors du territoire national. Ainsi pour les produits laitiers, la part du lait suisse doit être de 100%. Quant à l’eau, elle n’est prise en compte que dans le cas de boissons auxquelles elle confère ses caractéristiques essentielles (bière, eau minérale naturelle ou aromatisée), mais pas lorsqu’elle sert à la dilution (de jus de fruit par exemple) ou à la fabrication (de pâtes par exemple). Par ailleurs, le chocolat, dont la recette de fabrication ne comprendrait aucune matière première disponible en Suisse, ainsi que le café, sont considérés comme «suisses» lorsque la transformation a eu lieu intégralement dans le pays. Les autres produits composés exclusivement de matières premières ne provenant pas de Suisse (par exemple l’huile d’olive) ne peuvent en revanche pas prétendre à l’indication de provenance. Enfin, les enclaves douanières et les surfaces en zone limitrophe cultivées par des exploitations agricoles helvétiques sont assimilées à des lieux de provenance indigène.
Les produits naturels (comme par exemple la salade et le lait) issus de la zone franche (très importante dans un canton comme Genève) peuvent être munis d’une indication de provenance suisse. En revanche, les denrées alimentaires transformées fabriquées dans la zone franche de Genève (par exemple le fromage ou la pizza) ne peuvent, elles, pas porter d’indication de provenance suisse.
Exceptions
Les ordonnances d’application fixent enfin plusieurs exceptions en faveur de l’industrie. La «clause bagatelle» prévoit que les ingrédients présents en quantité négligeable et ne donnant pas au produit fini ses propriétés essentielles peuvent être exclus du calcul jusqu’à concurrence de 3% du volume total. Une autre dérogation concerne les produits naturels temporairement indisponibles, c’est-à-dire qui ne peuvent pas être produits en quantité suffisante en raison de conditions inattendues telles que des pertes de récoltes. Quant à «l’exception de qualité», elle permet à une organisation du secteur de demander l’exclusion temporaire d’un produit naturel destiné à un usage précis et non disponible en Suisse selon les exigences techniques nécessaires. La liste actuelle compte 58 matières premières exclues, parmi lesquels le jus de framboise concentré pour la fabrication des bonbons ou l’amidon de blé utilisé en biscuiterie.
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Extrait du titre Manger SuisseCollection Savoir suissePublié chez EPFL PRESS



