Le corps médical estime à 2 litres par jour (entre 2 et 3 fois plus par grandes chaleurs) la quantité d’eau minimale dont nous avons besoin pour une bonne hydratation du corps. En y ajoutant l’eau nécessaire à la vie quotidienne, on peut estimer les besoins de base à environ 150 litres par jour, soit 50 m3 par an et par personne. Même avec une population mondiale estimée à 9 milliards d’habitants en 2050, cette quantité ne représente guère que 0,7% des eaux de pluie reçues sur les continents. Même en y ajoutant les besoins de l’agriculture et de l’élevage, cette valeur reste véritablement modeste puisque notre planète reçoit chaque année 7000 m3 d’eau par habitant. Nous n’allons donc pas manquer d’eau.
Si ses stocks sont gigantesques et si leur épuisement n’est donc pas à l’ordre du jour, le problème de l’eau dans le monde est cependant bien réel, car l’eau potable est très inégalement répartie. Moins de 10 pays se partagent 60% des ressources en eau douce et 17 % de l’humanité n’a pas accès à l’eau potable, les zones les plus peuplées étant celles où elle manque le plus. Aujourd’hui encore, beaucoup doivent aller la chercher plusieurs fois par jour à des kilomètres de chez eux ou sont contraints de l’acheter très cher à la bouteille ou au seau auprès d’un revendeur ambulant. Et cela n’est pas le seul fait des savanes ou des villages isolés. Dans de nombreuses villes, les réseaux de distribution sont inexistants et, quand il en existe, ils n’alimentent qu’une faible partie de la population. Le plus souvent mal entretenus et sujets à des pertes pouvant dépasser 50 %, ils ne fonctionnent que quelques heures par jour, voire, parfois, par semaine.
Avec le réchauffement climatique, une inégalité croissante de la répartition de l’eau au cours de l’année s’ajoute à cette inégale répartition géographique. Les valeurs données ci-dessus correspondent en effet à des moyennes annuelles, mais il ne suffit pas – pour la vie quotidienne et l’agriculture par exemple – d’avoir de l’eau, même en quantité suffisante en moyenne annuelle, il faut encore qu’elle tombe au bon moment, quand on en a besoin. En Europe, les modifications du cycle des pluies, avec une fréquence accrue des sécheresses durant les mois d’été et des pluies plus importantes et souvent plus violentes le reste du temps, perturbent l’agriculture. Globalement les zones climatiques se déplacent vers les pôles. Il pleuvra plus intensément en Europe du Nord et moins souvent en Europe du Sud. En France, le Sud-Est ne manquera jamais d’eau, grâce au réservoir de neiges et de glaces constitué par les Alpes, mais en Méditerranée, les pluies se feront plus rares en été. Si des retenues et des adductions d’eau à grande distance ne sont pas construites à temps, la région parisienne et le Sud-Ouest pourraient également manquer d’eau.
Le stress hydrique (moins de 1700 m3 d’eau par an et par personne; quantité qui peut paraître énorme, mais qui ne l’est pas, nous verrons pourquoi) est une conséquence directe de l’inégale répartition de l’eau dans l’espace et le temps. Pour une raison ou pour une autre, 43 pays, soit 40% de la population mondiale, sont actuellement en état de stress hydrique, voire de pénurie (moins de 1000 m3 par an et par personne). Dès à présent, la quantité d’eau disponible dans les bassins du Niger et du Sénégal a baissé entre 40 % et 60 %. Les projections montrent qu’à l’horizon 2030, la demande en eau sera globalement supérieure à l’offre de plus de 40%. Le stress hydrique touchera alors 90% des populations d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient et 85% des populations d’Afrique subsaharienne. Quelque 14 pays passeront d’un état actuel de stress hydrique à un état de pénurie et l’Europe elle-même sera affectée. L’Europe du Sud souffrira certes des manques les plus sévères, mais cet état de stress touchera également certaines régions plus au nord comme en 2018 le nord de la Savoie, le Limousin et la Franche-Comté.
La définition du stress hydrique (moins de 1700 m3 par an et par personne, quand nos besoins courants annuels sont estimés à 50 m3) peut nous étonner. Cela provient certainement du fait que nous ne pensons qu’à l’eau consommée de façon directe sans avoir véritablement conscience de son usage dans tous les domaines de nos vies. L’eau intervient en effet dans la fabrication de tous les objets que nous utilisons et dans tous les services dont nous profitons.
Notre consommation «directe» (boisson, repas, vaisselle, toilette, linge, sanitaire, etc.) est de quelques mètres cubes par an et par habitant dans les pays les plus pauvres et de plus de 200 m3 dans les pays les plus riches. À titre d’exemple, un habitant des Émirats Arabes Unis et un États-unien consomment respectivement 500 et 300 m3 d’eau par an, alors que les habitants de la vingtaine de pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient ne disposent pas de 5 m3. En France, nous l’avons dit, nous consommons en moyenne 50 m3 par an, soit 150 litres d’eau par jour, l’équivalent d’une baignoire.
Toutes ces valeurs représentent nos besoins «directs», mais un bilan complet nécessite de tenir compte aussi de l’eau que nous consommons à travers la production de nourriture, de biens, d’objets divers et de services, tels le nettoyage des rues, l’arrosage des espaces verts ou la lutte contre les incendies. En tenant compte de toute cette consommation supplémentaire, nous passons, en France, d’une consommation de 150 à 5100 litres par jour et par personne, soit l’équivalent de 34 baignoires. Près de 36 % de cette consommation provient de la viande que nous mangeons via le maïs et le soja qui a nourri le bétail, 11% des produits industriels, 10% de la production de café et de thé, 10 % de celle des produits laitiers, 6 % de l’huile, 5 % des céréales.
Toute cette eau intervient dans nos échanges commerciaux. Ainsi, l’eau, déjà mal répartie sur la Terre, se trouve-t-elle prélevée de façon invisible mais bien réelle à des pays qui souvent en manquent mais qui ont besoin d’exporter: 47% de la consommation d’eau en Occident est ainsi prélevée à l’étranger par les importations.

Cet article n'est qu'une introduction au livre présenté ci dessous, qui présente quant à lui, une analyse plus avancée du sujet

Pour en savoir plus : Dans ce livre accessible à tous, Jean-Marie Vigoureux nous invite à remonter le fil de l’eau. Des comètes et poussières de la grande nébuleuse primitive dont elle est issue au givre qui magnifie les matinées d’hiver, l’eau a une histoire à raconter, celle de la Terre qu’elle alimente, celle de la vie qu’elle anime. Au gré des pages, nous découvrons ainsi les propriétés singulières de l’eau : Pourquoi la glace flotte-t-elle? Pourquoi la neige se forme-t-elle en cristaux tous différents? Comment la sève parvient-elle des racines à la cime des arbres? En quoi l’eau est-elle essentielle à la vie? Et tant d’autres questions qui nous montrent que cet élément est un trésor dont il s’agit de prendre le plus grand soin. Du liquide à la vapeur, des nuages aux courants marins, de la sève à la sueur, de ses origines à sa sauvegarde, ce livre changera votre façon de voir l’eau. Il vous fera comprendre que, tout en étant source de vie, elle est également vecteur de mort: pour le meilleur et pour le pire, ses propriétés exceptionnelles entrent en jeu dans les grands problèmes d’aujourd’hui. Pour les résoudre, il est sans doute temps de repenser nos choix de vie et nos décisions économiques.

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