Il est donc logique de considérer La Joconde comme une œuvre de la fin de sa carrière et de la voir, dans chacun de ses détails, comme l’apogée d’une vie dédiée au perfectionnement d’une aptitude à associer art et nature. Le panneau de peuplier recouvert de multiples couches de glacis d’huiles légères, appliquées au fil des années, matérialise les nombreuses dimensions du génie de Léonard. Ce qui est au départ le portrait de la jeune épouse d’un marchand de soie se mue en une double quête : la représentation de la complexité des émotions humaines, rendue de façon marquante par le mystère d’un sourire suggéré, et l’évocation des liens entre notre nature et l’univers qui nous entoure. Deux paysages s’entrelacent, celui de l’âme de Mona Lisa et celui de l’âme de la nature.
La Joconde est l’œuvre d’un homme qui a utilisé ces dons sa vie durant pour nourrir ses passions intellectuelles. Les recherches consignées au fil de milliers de pages dans ses carnets – rayons lumineux frappant des objets aux formes courbes, dissections de visages humains, volumes géométriques transformés en nouvelles formes, flux d’eaux turbulentes, analogies entre la terre et le corps humain – l’ont aidé à comprendre comment représenter subtilement les mouvements et les émotions.
« Sa curiosité insatiable et ses bonds incessants d’un sujet à l’autre sont entrés en harmonie dans une seule et même œuvre », note Kenneth Clark à propos de La Joconde. «La science, les compétences picturales, l’obsession pour la nature, la clairvoyance psychologique sont toutes présentes et si parfaitement équilibrées que nous en sommes à peine conscients au premier abord. »
La peinture

La lumière pénètre donc les différentes couches et une partie des rayons atteignent la sous-couche, qui les renvoie en sens inverse à travers ces mêmes couches. Nos yeux perçoivent une interaction entre les rayons de lumière qui rebondissent sur les couleurs en surface et ceux qui surgissent des couches plus profondes, ce qui confère au modelé des subtilités changeantes et insaisissables. Les contours de ses joues et de son sourire sont définis par de délicates transitions de tons qui semblent voilées par les couches de glacis, et ils varient avec la lumière de la pièce et l’angle de notre regard. La peinture prend vie.
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À l’instar des peintres néerlandais du XVe siècle tels que Jan van Eyck, Léonard utilise des glacis comportant une très faible proportion de pigment mélangé à de l’huile. Pour les ombres du visage de Lisa, il est le premier à mélanger le fer et le manganèse pour créer un pigment de couleur ambre brûlé et absorbant bien l’huile. Il l’applique par touches si délicates qu’elles en sont imperceptibles et superpose, au fil du temps, jusqu’à 30 fines couches. Selon les conclusions d’une analyse par spectrométrie de fluorescence X publiée en 2010, «l’épaisseur d’un glacis brun placé sur une base rose sur les joues de Mona Lisa varie graduellement d’à peine 2 à 5 micromètres à environ 30 micromètres, au niveau de l’ombre la plus profonde». L’analyse montre que les touches ont été intentionnellement appliquées de manière irrégulière afin de donner au grain de la peau un aspect plus réaliste.

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Nous observons une autre petite anomalie sur la façon dont la lumière éclaire le visage de Lisa. Dans ses écrits sur l’optique, Léonard étudie le temps pris par les pupilles des yeux pour se contracter quand elles sont exposées à une lumière plus intense. Dans le Portrait d’un musicien, les pupilles du jeune homme ne sont pas aussi dilatées l’une que l’autre, ce qui donne une impression de mouvement et concorde avec la lumière vive utilisée par Léonard dans ce tableau. Dans La Joconde, la pupille droite de Lisa est légèrement plus dilatée que l’autre. Léonard pense, à tort, que nos pupilles se dilatent indépendamment l’une de l’autre lorsqu’elles sont exposées à la lumière. Or, dans ce cas précis, il représente la pupille de l’œil droit, le plus directement exposé à la lumière, plus dilatée. Voilà qui est déconcertant. Pousse-t-il son sens de l’observation jusqu’à relever un cas d’anisocorie, qui se définit par une différence de taille entre les pupilles et touche 20 pour cent de la population ? Ou doit-on en conclure qu’il sait que nos pupilles se dilatent lorsqu’on ressent du plaisir et qu’il veut nous indiquer, en montrant un des yeux se dilatant plus rapidement que l’autre, que Lisa est heureuse de nous voir ?
Le tour de passe-passe

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De Walter Isaacson
Collection Quanto
Publié aux EPFL PRESS




