Le tourisme y représente souvent la composante centrale de l’économie et se trouve dans une situation de complémentarité avantageuse avec d’autres activités économiques telles que la construction ou l’agriculture. Dans certaines régions de montagne, le tourisme génère jusqu’à 30 % de la valeur ajoutée brute produite. C’est aussi dans les régions de montagne que les défis du tourisme sont les plus importants aussi bien en termes d’infrastructures que de marchés de provenance de la clientèle. Depuis des années, les politiques publiques du tourisme essayent d’aider le secteur à relever ces défis et à renforcer sa compétitivité. En parallèle, la Suisse doit faire face à un climat qui se réchauffe. Si on la compare à celle du milieu du 19e siècle, la température moyenne a déjà augmenté de presque 2°C. Bien plus que pour n’importe quel autre type de tourisme, les changements climatiques influencent les conditions-cadres du tourisme en montagne qui doit s’adapter en conséquence. Les risques sont nombreux mais il existe aussi des opportunités à saisir.

Le présent ouvrage aborde cette nouvelle donne climatique par rapport à ses répercussions sur le secteur du tourisme en Suisse, spécialement dans les régions de montagne. Formulée d’une manière un peu abrupte, une question en particulier est posée, celle de la viabilité du tourisme d’hiver en Suisse dans un climat plus chaud: est-ce que les changements climatiques sonnent le glas du tourisme d’hiver en Suisse?

La température moyenne en Suisse a augmenté de 1,75°C entre 1864 (début des mesures) et 2012 (Brönnimann et al. 2014). Cette valeur est presque deux fois plus élevée que la moyenne mondiale, de 0,85°C (voir figure suivante). Ceci s’explique en partie par le relief du pays : le climat de la région alpine est caractérisé par un haut niveau de complexité dû à l’interaction entre les montagnes et la circulation de l’atmosphère. Cette interaction génère, par exemple, des vents de föhn et des situations de blocage qui causent la formation de configurations atypiques des vents en haute altitude. De plus, par leur position géographique, les Alpes connaissent un climat dit de transition qui résulte de l’influence de différents climats (océanique, nord-européen, continental et méditerranéen), sans qu’aucun d’entre eux ne soit prédominant, ce qui ajoute un niveau de complexité à la situation climatique de la région. Par exemple, l’augmentation particulièrement intense de la température dans les années 1990 (voir figure suivante) s’explique en partie par le régime climatique atlantique et plus particulièrement par l’influence de l’oscillation nord-atlantique (ONA plus connue sous le sigle anglais NAO). La NAO décrit les variations du régime océan-atmosphère sur le nord de l’océan Atlantique et se mesure généralement comme la différence de pression atmosphérique entre l’anticyclone des Açores et la dépression basée sur l’Islande. Il semblerait que ce phénomène influence particulièrement le climat dans les régions alpines de haute altitude ; les régions de plus basse altitude y seraient beaucoup moins sensibles (Beniston 2005). D’autre part, à cause du relief et de ces différents régimes climatiques, l’augmentation de température n’a pas été homogène dans l’ensemble de la Suisse. En fait, la température a augmenté respectivement de 1, 1,3 et 1,6°C pour le sud, l’ouest et l’est du pays au cours du dernier siècle (Frei et al. 2007).

Les impacts sur le secteur

Le tourisme dépend du climat de maintes façons. Les températures moyenne, maximale et minimale, les précipitations, le degré d’ensoleillement, l’humidité de l’air et la force des vents sont tous des paramètres climatiques qui l’influencent. Les impacts des changements climatiques en Suisse ont été largement étudiés et de nombreuses études existent sur le sujet. Selon ces études, on peut penser que les plages dans le bassin méditerranéen deviendront trop chaudes et moins attrayantes pour beaucoup de touristes. Par conséquent, ceux-ci pourraient se tourner vers les montagnes et les régions lacustres ou vers le nord de l’Europe. Il est aussi possible d’imaginer que les Alpes et les régions lacustres deviendront un choix intéressant pour beaucoup de personnes qui voudront fuir une chaleur estivale devenue trop accablante dans les villes du Plateau suisse. Ce phénomène a déjà été observé pendant l’été caniculaire 2003. Durant cet événement climatique extrême, l’augmentation des visites dans les régions de montagne fut en effet visible. Plus généralement, une étude a déterminé qu’il existe une corrélation positive entre les températures en plaine et le nombre de nuitées en montagne sur la base d’un échantillon de 40 domaines touristiques des Alpes suisses couvrant la période 1997-2007 (Serquet et Rebetez 2011). La corrélation est plus marquée pour les domaines proches des villes tels ceux de Kandersteg dans le canton de Berne ou de Villars-sur-Ollon dans le canton de Vaud. Dans ces lieux, il y a eu une augmentation statistiquement significative des nuitées pendant les jours où la température maximale enregistrée dans les centres urbains voisins dépassait les 25°C.

Pour ce qui est des Alpes, on prévoit une augmentation de la température et de la variabilité climatique, la diminution de la couche neigeuse surtout en basse et moyenne altitude, la fonte des glaciers et du pergélisol – le matériel de surface qui se trouve au-dessous de 0°C tout au long de l’année – et des précipitations moins fréquentes mais plus intenses qui engendreront probablement une augmentation de la fréquence et de l’intensité des mouvements de terrain, des inondations et des périodes de sécheresse. Ces différents facteurs ont déjà eu des conséquences et en auront encore dans le futur sur la demande et sur l’offre touristique dans le pays. Comme mentionné précédemment, nous pouvons imaginer par exemple qu’avec des températures plus importantes en été, les Alpes joueront le rôle d’îlot de fraîcheur pour les habitants des plaines avec des répercussions positives sur l’économie touristique locale. D’un autre côté, la fonte des glaciers a déjà un impact sur le paysage et diminue l’attractivité de certaines régions. De même, la fonte du pergélisol provoque des coûts supplémentaires pour l’infrastructure qui doit être remplacée ou réparée ainsi qu’une diminution de l’attractivité de la région pour les touristes due à l’augmentation de l’instabilité du sol et des dangers de chutes de pierres. Finalement, la diminution de la couche neigeuse en basse et moyenne altitude a aussi un impact considérable sur de nombreux domaines skiables.

La diminution de la couche neigeuse

Un des phénomènes déjà nettement visible est la remontée de la limite de la neige, c’est-à-dire l’altitude à laquelle la neige tient au sol. Une augmentation de la température de 1°C signifie, en moyenne, une élévation de cette limite de 150m. Ceci est dû au fait qu’avec une augmentation de la température, les précipitations tombent de plus en plus sous forme de pluie et non de neige, surtout au printemps et dans les régions de basse altitude. Depuis le début des années 1980, la durée de l’enneigement a diminué fortement, surtout en dessous de 1800m, et la limite de la neige s’est élevée. Dans l’ensemble du pays, la limite du zéro degré en hiver s’est élevée en moyenne d’environ 300m depuis les années 1960. Le Tessin – à cause de ses particularités climatiques régionales – est peut-être le canton le plus fortement affecté par ces changements. Comme le climat est plus chaud sur le versant sud des Alpes, il faut déjà compter avec une limite de la neige qui est 300m plus haute que sur le versant nord des Alpes (elle se trouve à présent autour des 1500 m d’altitude, contre 1200m d’altitude au nord du Gothard). De plus, la limite supérieure de la majeure partie des domaines skiables tessinois est généralement basse comparée à celle des grands domaines skiables suisses (2400m à Bosco Gurin, 2300m à Carì, 2250 à Airolo, 2123 m à Nara contre 3899 m pour Zermatt et 3303m à Saint-Moritz par exemple). Il en résulte qu’à partir des années 1990, les conditions d’enneigement étaient déjà devenues beaucoup moins favorables dans une grande partie des domaines tessinois. Pour le domaine skiable de Tamaro, situé dans la région du Monte Ceneri sur une pente sud-est (et donc particulièrement exposée au soleil), les répercussions ont été importantes. L’enneigement insuffisant ou très rare pendant sept hivers entre 1986 et 2002 a amené une reconversion du site et l’abandon du ski sur le domaine. Dans le reste de la Suisse aussi, des changements ont été visibles: beaucoup de domaines des Préalpes et du Jura ont notamment vu leur situation se péjorer au cours des dernières années. La diminution de la couche neigeuse rend aussi la pratique de l’alpinisme plus dangereuse. Certaines voies qui étaient auparavant relativement sûres et faciles le sont aujourd’hui beaucoup moins. Par exemple au Biancograt (une fameuse crête du Piz Bernina dans les Alpes orientales située entre 3574 et 3995 m d’altitude) l’absence de neige rend le passage beaucoup plus dangereux et technique alors qu’il ne l’était pas auparavant, au point que seul des grimpeurs expérimentés peuvent aujourd’hui le traverser.

Sachant qu’une augmentation de la température de 1°C signifie, en moyenne, une élévation de la limite de la neige de 150m et si on suppose une augmentation des températures hivernales avoisinant les 1,8-2°C pour 2050 par rapport à 1990, alors on peut tabler sur une augmentation de la limite inférieure de la neige de 270-300m. De plus, avec l’augmentation des températures, la durée de l’enneigement aux altitudes basses continuera à diminuer aussi. Une modélisation portant sur seize bassins versants allant des hautes Alpes jusqu’en plaine (Hänggi et al. 2011) a montré qu’à partir de 1200m d’altitude, la durée de l’enneigement se raccourcira d’environ 25 jours d’ici 2035. Cependant, les incertitudes des modèles sont grandes et il est difficile de faire des prévisions précises et fiables au niveau régional, surtout en connaissant l’incertitude existante liée à l’évolution des précipitations. On estime en général que des hauteurs de neige aujourd’hui considérées comme faibles deviendront la norme d’ici 2085 et que d’ici là, la neige fondra entièrement en été jusqu’à 3500 m d’altitude. D’autre part, si les précipitations hivernales venaient à augmenter – comme certains modèles le prévoient – des domaines skiables situés à haute altitude, loin au-dessus de l’isotherme du 0°C, pourraient (au moins dans un premier temps) bénéficier de plus de neige et gagner ainsi en compétitivité.

Outre leur impact sur l’offre touristique, la quantité de neige et la durée de la couverture neigeuse influencent aussi la disponibilité en eau dans les domaines touristiques et la demande des touristes pour les sports d’hiver. En effet, le manque d’atmosphère hivernale en plaine pourrait dissuader beaucoup de citadins de pratiquer le ski. Enfin, ces facteurs influencent aussi l’écosystème, en modifiant par exemple le régime des eaux et la végétation.

Cet article n'est qu'une courte introduction au livre présenté ci-dessous, comprenant quant à lui une analyse complète du sujet.

Pour en savoir plus : La Suisse se réchauffe… et les effets sur le tourisme sont multiples, en particulier sur le tourisme d’hiver dont la dépendance au climat en fait un secteur économique particulièrement vulnérable. Victime certes, mais aussi générateur de gaz à effet de serre, le tourisme doit prendre conscience de sa responsabilité. Le défi climatique concerne en premier lieu les acteurs touristiques. Dans les domaines skiables, les études d’impact révèlent de fortes disparités régionales, la diminution de la couche neigeuse en basse et moyenne altitude ayant des conséquences considérables sur de nombreuses stations. Les incertitudes sont toutefois grandes quant aux effets réels des stratégies d’adaptation : comment atténuer les émissions de gaz à effet de serre lorsque la réponse la plus commune consiste à miser sur l’enneigement artificiel ? Cette tendance soulève de sérieux problèmes environnementaux, paysagers et économiques. Le défi climatique est aussi celui des pouvoirs publics qui soutiennent le tourisme dans notre pays. Si la volonté d’agir semble bien là, le bilan reste encore très mitigé en termes de cohérence et de coordination des mesures d’adaptation aux effets des changements climatiques.

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Collection : Savoir suisse
Publié chez EPFL PRESS