L’humus du sol forestier grouille d’opportunistes qui considèrent toute plante, vivante ou morte, comme une source alimentaire. Parmi eux, les champignons sont peut-être les plus redoutables. Les champignons de la moisissure blanche et de la pourriture noire possèdent des substances chimiques à même d’accomplir ce dont aucun autre organisme n’est capable : faire moisir le cœur le plus dur et le plus résistant d’un arbre. Quatre cents millions d’années de bois – à l’exception de quelques éclats fossilisés – se sont ainsi décomposées vers l’atmosphère, dont elles sont issues. Cette destruction est l’œuvre macabre d’un seul groupe de champignons qui se nourrit des membres ligneux et des souches. On compte pourtant dans leur famille certains des meilleurs amis – peut-être les seuls – que les arbres aient jamais eus.
Vous pensez peut-être qu’un champignon n’est qu’un champignon. Cela revient à considérer qu’un pénis est un homme. Chaque champignon, du plus délicieux au plus toxique, n’est qu’un organe sexuel attaché à quelque chose de plus vaste et de plus complexe, caché dans le sol. Sous chaque pied de champignon s’étend une toile d’hyphes filandreuses, parfois sur des kilomètres, enroulée autour d’innombrables mottes de terre, et qui stabilisent la structure du paysage. Le champignon qui pousse en surface n’est qu’éphémère, tandis que le réseau qui l’arrime au sol prospère pendant des années dans un environnement plus sombre et plus riche. Une petite minorité de ces champignons – à peine cinq mille espèces – a stratégiquement établi une trêve profonde et durable avec les arbres. Ces champignons déploient leurs toiles enchevêtrées autour de leurs racines, partageant ainsi la tâche d’alimenter le tronc en eau. Les filaments explorent également le sol à la recherche de métaux rares comme le manganèse, le cuivre et le phosphore, qu’ils présentent ensuite à l’arbre comme le feraient des rois mages.
La lisière d’une forêt est un no man’s land hostile, et si les arbres ne s’y aventurent pas, c’est qu’ils ont leurs raisons. À quelques centimètres de cette frontière, le terrain est trop sec, trop sombre ou trop exposé au vent ou au froid pour permettre la croissance d’un arbre de plus. Il arrive pour-tant parfois que la forêt s’étende et gagne en superficie, mais il faudra des siècles pour qu’une plantule parvienne à conquérir cette terre inhospitalière et supporte des années de pénurie. Pour cela, elle est toujours lourdement armée d’un champignon symbiotique souterrain. Tant de choses se liguent contre ce petit arbre, même si, grâce au champignon, sa fonction racinaire est deux fois plus importante.
Cette association a un prix : pendant les premières années de sa vie, la plus grande partie du sucre que la plante produira dans ses feuilles sera directement pompée par les champignons. Les filaments qui ont colonisé ses racines en difficulté ne les pénètrent pas, la plante et le champignon demeurant physiquement séparés tout en travaillant en étroite association. Ils s’ancrent l’un à l’autre. Ils travailleront ensemble jusqu’à ce que l’arbre soit assez haut pour atteindre la lumière, au sommet de la canopée.
Pourquoi sont-ils ensemble, l’arbre et le champignon? Nous n’en savons rien. Le champignon pourrait très bien vivre seul, mais il choisit de s’entremêler à l’arbre plutôt que de mener une existence indépendante et plus facile. Il s’est adapté pour rechercher la douceur sucrée qui coule dans les racines de la plante – un de ces nectars étranges et concentrés qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans la forêt. Peut-être le champignon pressent-il aussi que lorsqu’il fait partie d’une symbiose, il n’est plus seul.
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