La mobilité est le lien entre les différents lieux que nous fréquentons régulièrement (lieux de formation, de travail, de sortie, etc.), ou sporadiquement (les destinations touristiques par exemple). Elle permet à des individus de se retrouver lors d’occasions basées sur la co-présence (participer à un cours académique, se retrouver entre amis, partager un repas familial, etc.).

Malgré son omniprésence, ou peut-être même en raison de celle-ci, la mobilité semble aller de soi. Elle n’est toutefois pas un phénomène anodin et elle est davantage qu’un simple liant entre les composantes de la société. Par son ampleur et ses difrérentes expressions, la mobilité est un phénomène dans lequel se révèle l’ensemble de notre société : ses idéologies, ses modes de vie, sa structure démographique et sociale, son organisation économique et spatiale, son empreinte écologique. La mobilité constitue ainsi un enjeu global à plus d’un titre, à partir duquel il est possible de rendre compte du fonctionnement d’une société, de ses valeurs et de son organisation.

Faut-il construire plus de routes pour limiter les embouteillages?

La générosité des infrastructures routières est incontestablement liée aux conditions de circulation. Pour autant, cette relation n’est ni systématique, ni linéaire.

D’après le Larousse, l’embouteillage (outre le remplissage de bouteilles avec des liquides) est une affluence de véhicules qui encombrent et obstruent les voies de communication. Les embouteillages constituent une plaie pour nos sociétés en général, et pour nos villes en particulier. Aux États-Unis, il est estimé que les embouteillages ont généré pour l’année 2011 un total de 5.5 milliards d’heures de retard dans le pays et un gaspillage de 2.9 milliards de gallons d’essence (environ 11 milliards de litres). Le coût total des embouteillages pour les États-Unis en 2011 est estimé à 121 milliards de dollars (SCHRANK, EISELE et LOMAX, 2012). En Europe (27 pays de l’UE), pour l’année 2008, les coûts de la congestion ont été estimés entre 146 et 243 milliards d’euros (van ESSEN et al., 2011). En Suisse, l’estimation pour 2010 est de 34.5 millions d’heures et de 1.25 milliard de francs suisses (KELLER et WÜTHRICH, 2012). L’existence d’embouteillages est due à une inadéquation entre l’offre de transport, c’est-à-dire les infrastructures disponibles, et la demande de déplacement, caractérisée par les choix des voyageurs en termes de mobilité (choix de la destination, du mode de transport, de l’itinéraire, etc.).

Une raison souvent invoquée est l’insuffisance de l’infrastructure de transport, suggérant comme solution évidente un investissement dans l’accroissement de cette infrastructure. Mais est-ce vraiment la solution? Citons d’abord quelques exemples paradoxaux, où l’intuition liant l’augmentation de l’infrastructure à une diminution de la congestion, et la diminution de l’infrastructure à une augmentation de celle-ci, ne se vérifie pas.

Fin 1968, un nouveau réseau routier est ouvert autour de la place du château de Stuttgart. Alors que l’on s’attendait à ce que ces routes supplémentaires permettent un trafic plus fluide, un chaos routier aux heures de pointe en fut la conséquence. Afin de remédier à la situation, il a été décidé de fermer la Königstrasse à la circulation (KNÖDEL, 1969).

En 1990, le commissaire des transports de New York a décidé de fermer au trafic routier la 42e rue, connue pour ses bouchons récurrents. « Beaucoup ont prédit que ce serait apocalyptique », a déclaré le commissaire Lucius J. Riccio. «Vous n’avez pas besoin d’être un scientifique de haut vol ou d’avoir un modèle informatique sophistiqué pour voir que cela aurait pu être un problème majeur ». Tout le monde s’attendait au chaos. À la sur- prise générale, ce ne fut pas le cas. Le flux de trafic s’améliora même après la fermeture de la route (KOLATA, 1990).

À Séoul, une autoroute à six voies a été remplacée par un parc de huit kilomètres de long, diminuant drastiquement la capacité du réseau routier dans cette partie de la ville. Tout comme dans le cas de New York, alors que l’on s’attendait à une catastrophe, le flux de circulation dans la ville s’est amélioré (BAKER, 2009).

Dans ces exemples, il semblerait qu’une amélioration des conditions de trafic résulte d’une réduction de l’infrastructure. C’est une constatation paradoxale. Malheureusement, une analyse chiffrée de ces cas spécifiques n’est pas disponible, et il s’agit essentiellement d’observations empiriques. S’agit-il simplement de coïncidences ?

Le modèle mathématique de ce phénomène paradoxale est développé dans le livre présenté ci-dessous.

Quel est le prix d’une minute gagnée dans nos déplacements?

Seriez-vous prêt à payer davantage pour réduire votre temps de trajet jusqu’à votre lieu de travail ? Si oui, combien ? Si non, pourquoi ? Votre réponse serait-elle identique s’il s’agissait du temps de trajet pour vous rendre en week-end ? L’ensemble de ces questions est relatif à la notion de valeur du temps.

En premier lieu, considérons un déplacement de Paris à Bordeaux par la route. En empruntant l’autoroute, ce trajet peut être réalisé en 5 heures et 5 minutes, alors qu’en évitant l’autoroute, le même trajet prend 6 heures et 30 minutes (les durées de trajet ont été obtenues par le site https://www.google.ch/maps/, et ne prennent pas en compte la congestion.). Le coût des péages autoroutiers se monte à 54.40 euros pour le trajet Paris-Bordeaux (ASSOCIATION DES SOCIETES FRANÇAISES D’AUTOROUTES, 2015). En supposant les autres coûts équivalents, on peut en conclure que l’usager qui emprunte l’autoroute est prêt à payer 54.40 euros pour diminuer son temps de trajet de 1 heure et 25 minutes, soit une valeur du temps de 38.40 euros par heure de trajet gagnée. Dans cet exemple, on observe manifestement que l’usager de l’autoroute est prêt à payer pour réduire son temps de déplacement entre Paris et Bordeaux. Il faut cependant noter que d’autres considérations, comme le confort de conduite sur l’autoroute ou l’incertitude liée à la traversée de petites agglomérations peuvent également être des facteurs pour lesquels l’usager de l’autoroute est prêt à payer.

La volonté de payer pour réduire son temps de déplacement, traduit le fait qu’un compromis entre temps et coût du déplacement est recherché pour expliquer nos choix en termes de déplacements. Le concept d’utilité, historiquement introduit par Bernoulli en 1738, permet de comprendre ce phénomène : « La détermination de la valeur d’un objet ne doit pas être basée sur son prix, mais plutôt sur l’utilité qu’il apporte. Le prix de l’objet dépend seulement de l’objet lui-même et est identique pour tout le monde. L’utilité, au contraire, dépend des circonstances particulières de la personne estimant la valeur de l’objet. » (Bernoulli, 1954).

Mais les personnes ont-elles vraiment une attitude rationnelle lorsqu’un choix s’offre à elles? En particulier pour le choix du mode de transport? Plusieurs recherches récentes évaluaient à 20% à Sion (RAVALET, BARANGER, ZAKHIA et KAUFMANN, 2015), 30% à Genève, 40% à Lausanne et 60% à Berne (MUNAFÒ, CHRISTIE, VINCENT-GESLIN et KAUFMANN, 2012) la part des citadins actifs motorisés dont l’attitude vis-à-vis du choix de mode de transport était proche de celle de l’homo economicus rationnel. Ces personnes, réellement disposées à utiliser le mode de transport le plus performant pour le déplacement considéré, sont dites «multimodales» dans ces recherches. Mais qu’en est-il des autres citadins? Pour eux, d’autres formes de rationalités et de logiques d’action vont intervenir. Les représentations ou l’image des modes peuvent jouer un rôle considérable et mener dans certains cas à un refus très net des alternatives à un mode donné.

Le prix d'une minute gagnée lors de déplacement est donc variable selon les personnes, leurs moeurs et modes de vies

Le péage urbain, une possibilité ?

Face aux embouteillages aux centres-villes, le péage urbain a été introduit dans certaines villes et refusé dans d’autres. On constate une baisse du trafic et une augmentation du soutien à un tel dispositif à Stockholm après son introduction.

Le péage urbain consiste à faire payer l’accès au centre-ville aux automobilistes. Cette politique publique a pour objectif de réduire la congestion, en particulier à l’heure de pointe. C’est aussi un moyen pour l’État de récolter de l’argent, pour le pot commun ou pour les infrastructures de mobilité. Enfin, cela peut aussi permettre de réduire les nuisances environnementales de la voiture dans les centres-villes, par exemple en améliorant la qualité de l’air ou en réduisant la pollution sonore.

Des exemples de péages urbains existent dans plusieurs villes. Singapour a été précurseur dans ce domaine, en lançant un péage urbain dès 1975. Ont suivi Bergen (1986), Rome (2001), Durham (2002), Londres (2003), Stockholm (2006), La Vallette (2007) ou encore Milan (2008).

En Suisse les bases légales sont insuffisantes. En effet, la Constitution suisse interdit de taxer l’utilisation des routes, et une exception ne serait possible qu’avec un vote du Parlement fédéral. La Municipalité de Lausanne répond encore que les coûts de mise en service du péage sont élevés. Avec des coûts annuels de 10 à 30 millions, les revenus annuels de 35 à 90 millions de francs suisses ne permettraient de dégager des bénéfices que de l’ordre de 25 à 60 millions, en dessous des bénéfices de la billetterie des tl, de l’ordre de 75 millions par année.

Cet article n'est qu'une courte introduction au livre présenté ci-dessous, comprenant quant à lui une analyse complète du sujet.

La mobilité en questions  - Michel Bierlaire, Vincent Kaufmann, Patrick Rérat - PPURPour en savoir plus : Définir les questions de mobilité et y répondre, c’est ce à quoi s’attache cet ouvrage, en ouvrant un dialogue entre sciences de l’ingénieur et sciences sociales. Sur la base de nombreuses recherches récentes, il discute de manière critique dix grandes questions fondamentales relatives à la mobilité. Il montre les points qui font consensus, identifie ceux pour lesquels une controverse scientifique existe, et prend à contrepied certaines idées dominantes. Par sa démarche originale, ce livre s’adresse principalement aux étudiants en sciences de l’ingénieur et en sciences sociales désireux de se familiariser avec les enjeux actuels de la mobilité, mais il se destine également à tous ceux curieux et désireux de mieux comprendre les multiples facettes de la mobilité.

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Extrait du titre La mobilité en questions
De Michel Bierlaire, Patrick Rerat et Vincent Kaufmann
Collection Espace en société
Publié chez EPFL PRESS